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Entre corpus annoté et lexique sémantique, quelles options pour le TALN ?

Marc El-Bèze

Résumé : Il est communément admis que la tâche de désambiguïsation sémantique n'est pas une fin en soi. Pour tenter d'apporter un début de solution à ce problème reconnu comme très difficile, de nombreux systèmes ont été développés. Pour la plupart, ces systèmes sont destinés à être les composants de systèmes plus complexes (moteurs de recherche d'information, de dialogue personne-machine, ou d'aide à la traduction). Néanmoins, ils sont testés en tant que tels dans le cadre de campagnes d'évaluation, comme par exemple Senseval ou Romanseval. La seconde édition de ces campagnes est d'ores et déjà planifiée. De fait, on est en droit de se demander - sans pour autant vouloir chercher à enrayer le mouvement -, si la désambiguïsation sémantique a un sens, et si oui lequel. Il ne faut pas voir dans ce questionnement un jeu de mots gratuit, mais bien la nécessité de soumettre à l'examen une pratique dans laquelle s'engagent de plus en plus de chercheurs, qu'ils soient linguistes ou informaticiens. Si l'on s'en tient au protocole suivi lors de la première campagne d'évaluation de Senseval, on peut dégager de ses caractéristiques un certain nombre d'observations qui peuvent alimenter la réflexion. Une quarantaine de mots appartenant à l'une ou l'autre de trois catégories grammaticales avait été retenue : les noms, les verbes et les adjectifs. Pour chacun de ces mots était fournie une liste d'étiquettes sémantiques et pour couvrir l'ensemble de ces sens, en moyenne, une centaine d'exemples étiquetés ainsi qu'une définition pour chaque étiquette. Pour chaque mot, enfin une centaine d'exemples de tests devaient être étiquetés par les différents systèmes en lice. Pour un mot donné, les étiquettes pouvaient entretenir des relations de type hiérarchique, ce qui permettait d'évaluer les systèmes à trois niveaux de granularité : fin, grossier, et intermédiaire. Une remarque préalable concerne le corpus d'apprentissage disponible pour chacun des mots. Pour un mot donné, seul le mot en question était étiqueté. Pour les mots du contexte aucune étiquette sémantique n'était proposée. Les annotations sémantiques posées par des juges humains sur chacun des exemples relatifs à un mot particulier, avait fait l'objet d'un arbitrage, et quand cela s'avérait impossible plusieurs étiquettes sémantiques avaient été maintenues. Enfin, détail qui peut avoir son importance : les étiquettes sémantiques utilisées pour annoter le corpus d'apprentissage étaient plus fines que celles qui étaient employés pour le niveau le plus fin d'évaluation. Notre propos n'est pas ici de décrire ifficultés à mettre en relation des définitions et des emplois de mots en contexte .Une des significations d'un mot employé dans un contexte particulier peut se trouver absente de la ressource pour plusieurs raisons. Les lacunes des dictionnaires ont suffisamment été pointées du doigt à diverses reprises, pour qu'il soit nécessaire d'en rajouter sur le sujet. Par essence, une ressource finie ne peut couvrir toutes les productions résultant des capacités créatives qui s'exercent sur les langages naturels. Certains usages langagiers correspondent à des nuances fines dont il est difficile de rendre compte dans un lexique où par contre figurent souvent des acceptions qui n'ont plus cours. Par ailleurs, il n'y a pas de découpage unique d'un mot en unités de sens. Il suffit pour s'en convaincre de comparer les choix faits par différents dictionnaires. Mais, le problème est plus complexe que cela. En analysant le fonctionnement des métaphores, on peut expliquer comment certaines figures de style permettent de rajouter un sens (le plus souvent figuré) à un mot tout en maintenant en partie son sens premier. Ces évidences expliquent en grande partie la complexité de la relation entre étiquetage et choix d'étiquettes sémantiques. Les méthodes numériques ont leur mot à dire pour tenter de trouver une voie entre lexique et corpus annoté. Toute approche qui entre dans cette catégorie peut non seulement permettre de choisir une étiquette parmi plusieurs, mais aussi servir à classer toutes les étiquettes candidates soit par calcul de distances ou de vraisemblances. Si la méthode retenue est de ce type, le vecteur final associé à un exemple peut être vu comme un moyen de localiser un emploi particulier dans l'espace déterminé par la base que forment les étiquettes sémantiques. Par le biais d'une analyse en composantes principales ou d'une analyse discriminante, des axes orthogonaux peuvent être dégagés un à un, axes correspondant à un compromis entre le jeu d'étiquettes initial et les exemples présents dans le corpus annoté. Même si le processus n'a pas tendance à converger, il ne serait peut-être pas inutile de de le voir comme une étape parmi d'autres d'une procédure itérative appliquée s'il le faut sur des données mouvantes afin de reproduire les aspects dynamiques de toute langue vivante. Si l'on accepte l'idée que Numérique et Métrique ont un rôle à jouer dans le domaine de la Sémantique, il est possible de voir le problème de la désambiguïsation sémantique comme formant un tout avec celui du choix des étiquettes. La question ne serait plus comment choisir entre tel ou tel sens pour un emploi donné, mais dans quelle région se situe cet emploi, sachant que la somme des usages aura tendance à modifier l'espace lui-même, dès qu'il sera patent qu'il aura été pour une raison ou pour autre, sous ou sur dimensionné.